Les invités - J.R. Népacquier / Pierre Jacquemin - Inédit - Juin 2013
J’ai sous les yeux un petit livre, une cinquantaine de petits textes en prose. Un voyage est proposé au lecteur qui va certainement partir et pérégriner sur un drôle de chemin, à l’Ombre de la Lumière. Curieux et joli titre… Déjà un désir de découvertes, peut-être…
Le voyage initiatique conduit normalement à la Lumière, une Lumière… la lumière de la Sagesse, bien certainement. L’approche d’une vérité possible, d’une force de vie… Approche-t-on la Lumière… est-elle perceptible ? Où le poète va-t-il nous conduire ?
Voici donc la base de la spirale initiatique… la Terre, notre mère à tous ! Le socle solide de toute partance vers les espaces, vers les grands espaces inconnus :
L’Obscure Immensité
Dans la nuit claire, le train filait vers Moscou. Ne pouvant dormir, voilà qu’il avait soulevé l’épais rideau de velours. Une clarté fade avait touché l’argent des tasses à thé sur la tablette et il avait alors effacé la vitre humide d’un geste plat de la main.
Là-bas, au-delà des rapides troncs blancs des bouleaux troublés de lune, l’obscure immensité Slave vibrait …
Premiers grands vertiges des grandes étendues sauvages… Puissance de la force de l’Histoire, de la Grandeur, première étape de la réflexion dans le voyage qui s’arrête, en prévision de la prochaine étape ; premier arrêt, première épreuve, premier petit pas vers la Sagesse,
Soleil
Devant le petit café, sur le bord de la route où stagne l’intense trafic, l’air pollué est devenu irrespirable … Abdel fume une dernière shisha glougloutante, perdu dans son nuage rose parfumé à la pomme. Les palmiers dattiers, de l’autre côté du canal Mahmoudieh, s’allument, tout d’un coup, comme autant de réverbères. Son verre de thé étincelle.
A l’horizon, droit devant, Soleil, majestueux et couvert d’or, s’abandonne avec lenteur et glisse avec mollesse derrière l’impressionnante pyramide de Dacchour qu’il irradie avec force et magnificence dans un grand jaillissement de feu.
La Terre d’Egypte ! …
Dans les environs du Caire
Mais surviennent les premières épreuves, les premières expériences et tentatives qui jalonnent le voyage initiatique de souffrances. Voici les peurs, les lourds chagrins de la vie, les séparations, les abandons, cette coupe d’amertume qu’il faut boire pour avancer, pour progresser n’est-ce pas ? Cette Coupe d’Amertume qui guérit…
Départ de Zagreb
Le moment de la séparation, redouté depuis des mois, n’est plus finalement qu’à quelques minutes d’eux. Jovan, étrangement excité, regarde encore sa mère et les haut-parleurs diffusent plusieurs avis de départ qui se mélangent dans l’air, incompréhensibles. Il voudrait tant qu’elle puisse le comprendre et imaginer, tout comme lui, cette nouvelle vie qui l’attend, bien sûrement, à Montréal.
Folle, elle le retient du regard à travers ses larmes, car ayant lu brusquement dans ses yeux, elle sait maintenant qu’elle ne le reverra plus…
Zagreb, Croatie
Cette Coupe d’Amertume qui guérit dans la solitude du cherchant, qui se sent perdu, qui perd pied parfois, qui cherche l’espoir à l’horizon invisible d’un inconnu qui s’efface…
Volupté
Il avait regardé l’océan des toits par la fenêtre de sa chambre. Il venait de se lever et la fatigue encore se faisait lourde en lui comme une volupté. Au bout des toits, commençait le ciel, un ciel tout blanc et qui n’exprimait rien. Alors la douce volupté s’était effacée comme un drôle de rêve.
C’est qu’il avait compris soudain l’immensité grandiose de sa solitude…
Mais voici déjà la troisième étape de la Vie en progrès, en marche, et c’est la Force du Désir, la force de l’amour et des attachements humains. La troisième étape… La puissance de l’Amour…
Dans le Restaurant de la Gare
C’est la fin de l’après-midi et la chaleur semble plus insupportable encore. Dans le restaurant de la très petite gare, il n’y a plus un souffle d’air et pourtant, il y fait très sombre et les baies vitrées sont ouvertes. L’horloge murale est arrêtée, depuis longtemps, sûrement et, par moments, on n’entend plus un bruit. Voilà que tout s’est curieusement figé.
Dans un coin retiré, attendant l’heure de son départ, un soldat en uniforme, devant un verre de bière ne regarde nulle part. En fait, il n’est déjà plus là car son désir est ardent.
Mostar, Bosnie
Mais toujours les épreuves, et cette force de vie s’éteint hélas au dernier poème de l’étape, au dernier passage vers l’autre niveau. Désespérance… Où est la sagesse et où se cache le grand sens de la Vie…
Le Petit Cimetière Marin
C’est ainsi que passèrent deux années. Les deux années qui suivirent sa disparition. Tous les matins, elle se rendait, à très petits pas, au petit cimetière marin, tout en haut, sur la falaise. Tout en haut, elle restait là des heures, à jardiner tout autour de la tombe, à rêver, à parler seule. Les fleurs étaient si nombreuses parfois qu’elles embaumaient, semblait-il, par-dessus toutes les tombes et même, parfois, au-delà du petit mur d’enceinte. Deux années passèrent, longues et courtes finalement et puis, elle fut étendue, elle aussi, auprès de lui pour toujours et plus aucune fleur ne vint parfumer les petits matins roses en haut de la falaise du petit cimetière marin …
Une île grecque en mer Egée
Où se dissimule la Connaissance et où se cache le grand sens ésotérique de la Vie ? Les clés sont-elles données à l’homme ? Voici la quatrième étape… le quatrième Livre, c’est la Beauté, la Sagesse…
Le passage de la Vie à la Mort, de l’Orient à l’Occident, voyage solaire…
A Travers la Grande Plaine Russe
Le train file vers l’Ouest. Rien ne l’arrêtera donc. Immensité des ciels qui se succèdent en grands changements lumineux et sombres à la fois sur l’interminable plaine. Etonnement de l’aube qui soulève l’Orient, fatigue des ciels lourds du Midi, stupéfaction des couchants éclatants qui, déjà, tachent les draps de sang. Ainsi va la vie qui, à grands traits, se modifie sans cesse. Dissolution des grands ciels mourants sur la splendeur du couchant.
Ainsi va la vie …
La force de la Sagesse, la puissance de la Lumière c’est l’Humanisme triomphant, c’est la grande tolérance entre les Hommes. Cette universelle Sagesse qui ne rejette rien et qui vibre dans la beauté ! La Lumière est Une et éclaire tous les Hommes :
La Divine Coïncidence
Sous le glissement rapide d’un nuage, Sarajevo surgit dans la lumière. Des neiges étincelantes mouillent encore les rues luisantes où s’écrase mollement un dégel boueux.
Au bord de la Miljacka, dans la grande Synagogue, superbe et imposante, David est seul. Il psalmodie à mi-voix. Et dans le silence de son étude, soudain, de la cathédrale catholique voisine, à toute volée, sonnent, les cloches ! … David lève alors la tête vers le somptueux plafond multicolore aux motifs compliqués. Quelle beauté ce plafond … Quelle beauté !
Depuis le minaret de la Begova Džamija, voilà que le muezzin, lui aussi, appelle à la prière …
David sourit à la divine coïncidence…
La Connaissance se fait une et éclaire tous les Hommes et déjà ou enfin la cinquième et dernière étape du long voyage s’approche du néophyte de la Vie. La découverte de La Lumière… qui initie et libère du vulgaire, du bruyant, du profane, du dehors…
Deuxième Méditation
Ce jardin est comme le paradis sur terre … D’invisibles oiseaux ramagent dans le creux de son ombre fraîche et tremblée. Des amas de feuillages frissonnants, jaillissent, seuls perceptibles, brusquement, de grands mouvements d’ailes rapides. Une poussière rousse trouble la lumière qui joue, agitée…
La salle de prière est large ouverte sur le jardin et une fraîcheur ardente et pénétrante s’en échappe. Deux silhouettes respectueusement accroupies sur le somptueux tapis sacré, dans le grand silence lumineux, tournés vers le Mihrâb, prient. Tombée droit d’une ouverture, une sage lumière baigne la scène. La Lumière. Paix.
Dehors, c’est le tumulte incessant et un grand trouble effrayant bouscule les encombrements hurlants et enfumés du Caire …
Cette Lumière livre-t-elle son secret ? Quelle est sa nature, son origine ? L’attente d’une réponse ! Une réponse, enfin !
« As-tu vu la Lumière ? », lui demanda brusquement le novice. « Cela fait près de quarante-deux ans que tu es enfermé dans ton monastère, au pied du Mont Athos, perdu dans tes prières, purifié par tes jeûnes et tes privations, loin des femmes et des distractions vulgaires ; tu as bien dû la voir, la Lumière ! »
Le vieux moine ne répondit pas. En fait, il ne savait que dire. De quelle lumière parlait donc cet homme et qu’attendait-il de lui ? Silencieux, il leva la tête simplement, en attente d’une explication.
Et c’est alors que, dans les yeux, dans les yeux vers lui levés, le novice, soudain, l’aperçut, éclatante, … la Lumière !
J.Rémi Népacquier