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Stéphane Saubole - Rédacteur

Musique - Inédit - Interview de Juan Rozoff (1) - Octobre 2013

13 Octobre 2013 , Rédigé par stephanesaubole Publié dans #Musique

 « Un phantasme de jouer en Espagne » 

 

JuanRozoffStéphaneSaubole

          Nul n'enchaînera Juan Rozoff (Photo Stéphane Saubole)
  

A invité exceptionnel, article exceptionnel ! Interviewé le 13 septembre 2013, avant un concert madrilène au Tempo Jazz Club, en compagnie de musiciens de la ville, Juan Rozoff a joyeusement bafoué toutes les règles de l'exercice ! Cette transcription relativement « littérale » - en cinq parties (!!!) - ne permettra donc de restituer qu'approximativement toute la saveur de la verve rozoffienne, son enthousiasme parfois contradictoire et son amour fou de la musique. En toute fausse immodestie !

 

 

ConcertJuanRozoffMadrid

             Funky monsters au Tempo Club, à Madrid
  

Stéphane Saubole. Quel répertoire est prévu ce soir à Madrid ? Des morceaux de tes trois albums, de nouveaux titres, des reprises... ?

 

JuanRozoffJamSession

             Jam Session, le premier album de Juan Rozoff 
  

Juan Rozoff. Ce soir, je ne suis pas avec mon groupe. C'est une jam organisée... une jam concertée avec plusieurs funkateers, soulmen et soulwomen madrilènes. On a prévu un répertoire de reprises. Il y a juste un de mes morceaux. C'est essentiellement de la reprise, mais modifiée à notre manière, avec notamment une chanteuse incroyable. Je n'ai jamais entendu cela !

 

        Aurora Garcia, avec Freedonia, au festival Cultura Inquieta (Getafe, 2012)
  

 

StS. Comment s'appelle-t-elle ?

 

JR. Aurora Garcia, l'ancienne chanteuse du groupe Freedonia, qui maintenant fait son truc. Elle est extraordinaire. Je n'ai jamais entendu une voix pareille. Une soul pareille, c'est inconcevable. Participeront au concert des supers zicos d'ici. Mon saxophoniste, Eric Rohner, et mon batteur, qui est arrivé d'Angleterre, seront également de la partie.

 

 

     En hommage à Stevie Wonder, une magnifique interprétation de Signed Sealed Delivred

 

     Aurora Garcia honore Nina Simone avec I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free

StS. Tu nous les présentes.

 

JR. Le batteur, de nationalité anglaise, s'appelle Alexander. C'est un jeune gars que j'ai rencontré en Espagne. Je l'ai entendu à la balance d'un festival auquel nous participions tous les deux et j'ai adoré son style. Il a vu notre concert et a apparemment adoré... Quelques temps après, il m'a envoyé une reprise d'un de mes morceaux sur lequel il jouait la partie de batterie. C'était un clin d'oeil, un hommage, entre guillemets. Lorsque je me suis retrouvé sans batteur pour des gigs prévus en Espagne, j'ai repensé à ce petit jeune qui déchire tout. « S'il peut se fader un morceau, il peut se fader tout le répertoire », me suis-je dit. Je lui ai demandé, puis lui ai envoyé mes compos. Nous nous sommes retrouvés ici même, au Tempo jazz club, cet été. Son avion avait du retard. Il était complètement flippé, car il est juste arrivé pour jouer et nous n'avions pas fait une seule note de musique ensemble ! Mais pendant le concert, il a été impérial et, le lendemain, lors d'un gros festival à Jaen - Ethnosoul – il a déchiré. Donc, je ne peux plus me passer de lui.

 

StS. Peux-tu citer des morceaux que vous interpréterez ce soir ?

 

JR. Ce sont des classiques soul/funk. Je vais chanter un morceau d'Otis, Hard To Handle, un morceau de Juan Rozoff, Funky Music, et puis on va faire des trucs de Funkadelic/Parliament comme Cosmic Slop. On va reprendre du Jonnhy Guitar Watson, du Buddy Miles. Plutôt ce genre de répertoire...

 

« Plus brownien que clintonien »

 

StS. C'est un peu étonnant, puisque, à l'origine, tu es plus brownien que clintonien.

 

JR. Je suis beaucoup plus brownien que clintonien, parce que c'est ma culture. Non pas que je n'aime pas. Je trouve même cela fantastique, mais comme je l'ai dit à Monsieur Bootsy Collins « Himself »... Quand j'ai bossé avec lui, j'ai dû lui confesser très vite : « Ecoutez Maître, je ne connais pas votre musique au sein de Funkadelic/Parliament ». Il m'a regardé avec des gros yeux, du style «  Comment peux-tu faire ta musique sans connaître ce qu'on a fait ? » « Ecoute pour moi, tu es le bassiste qui joue sur Sex machine... »

 

StS. C'est déjà bien, surtout à 19 ans !

 

JR. C'est énorme ! Mais je ne connaissais pas la musique de Funkadelic, ou très peu, uniquement les classiques que tout le monde a entendus. C'est moins mon école, moins ma came. Maintenant, j'ai appris à aimer grâce à mon saxophoniste Eric « Shraa » Rohner qui connaît tout de Funkadelic/Parliament. A tel point, qu'aujourd'hui il joue avec eux ! C'est vraiment un obsédé de la funk et de la P-Funk en particulier. C'est lui qui m'a appris à apprécier. Mais, ce soir on jouera également du James Brown. Nous serons plusieurs chanteurs, dont Pitu ( N.D.R.L. : le leader du groupe Mamafunko), un Espagnol qui interprète très bien James. Donc je pense qu'on va lui laisser des browneries (N.D.R.L. : notamment Have afunky good time,Cold Sweat, Hot Pants, Soul Power, It's Man's Man's Man's World). Moi, je me taperai une petite gueulante ou deux...

 

StS. Donc, ce soir c'est un gig.

 

JR. C'est un gig « hommage », avec une connotation « fête ». C'est une fête. Pour le public, ce sera, à notre avis, un gros kiff d'entendre ce genre de choses, mais revisitées.

 

StS. Sinon, avec ton groupe habituel, j'ai remarqué que tu tournais souvent en terre ibérique. Pourquoi l'Espagne ?

 

     Juan Rozoff sur la scène du festival Cultura Inquieta (Getafe, 2012)

       

JR. Parce qu'il y a maintenant plus de quatre ans, j'ai reçu un message sur Facebook de l'organisateur du festival Enclave de Agua, qui se déroule tous les ans à Soria. On me proposait d'y participer... ce qui n'a pu se faire pour des questions de délais. J'avais eu la promesse d'être de nouveau contacté pour l'édition suivante. Et moi à qui on a tenu souvent ce genre de propos, je n'y ai pas vraiment cru. Car le fait de jouer en Espagne était un phantasme... mais un vrai, un vrai putain de phantasme ! Ma culture rock and roll, je l'ai faite ici. Mes premiers festivals rock, c'était ici. Donc, j'avais trop envie de jouer dans ce pays. J'avais l'impression d'avoir été spolié d'Espagne, moi dont la mère est Espagnole. Et donc, quand on a finalement pris part à cet événement, tout a commencé pour nous. Parce que ça c'est super bien passé. Parce que les gens nous ont kiffé. Et j'adore jouer pour le public espagnol. C'est un truc d'une autre planète ! Pour certains concerts, il y avait 4 000 personnes en transe. Une folie ! Comme un Harlem shake géant ! Donc, les kiffs en amènent d'autres parce qu'il y a un petit peu de blabla sur nous. Apparemment, ce sont de bons échos. Donc, fatalement, c'est plus facile de revenir.

 

     Délire rozoffien au festival Enclave de Agua, en 2011

 

« Je suis un flippé de Flamenco »

 

StS. Que représentait pour toi ce pays ? Je sais que tu es très amateur de flamenco.

 

JR. Je suis un flippé de flamenco, de par mes origines et de par mes affinités musicales. Pour moi, c'est une musique unique, même si on identifie certaines racines comme le qawali pakistanais ou indien. Cette expression musicale a connu tellement d'évolutions et me fait un effet unique. Otis Redding « me met les poils », Aretha Franklin me « met les poils ». Mais il n'y a rien comme le flamenco.

 

StS. Quels chanteurs ? Camaron, Capullo, Enrique Morente ?

 

JR. Bien sûr, tous les grands, Camaron en tête, évidemment. Quand j'étais enfant ou adolescent, ma mère me ramenait régulièrement d'Espagne des disques de flamenco parce qu'elle savait que j'adorais ça. En une occasion, elle était revenue avec plusieurs disques, quatre ou cinq... Il y avait Fernanda de Utreja, Lebrijano, Antonio Mairena... ET un disque d'un petit blond. Il apparaissait sur la pochette. Et, comme un couillon, j'ai décidé de laisser de côté le petit blond, pour l'écouter après les autres. Durant des semaines, j'ai écouté le reste, avant de poser ce disque sur ma platine. Il y était inscrit Camaron con collaboracion especial de Paco de Lucia. Je mets le saphir dans la rainure et... ma vie a changé ! J'ai pris une déflagration dans la gueule. Vraiment ! Et je suis devenu comme TOUT le monde écoutant Camaron pour la première fois. Et ce n'est jamais plus la dernière fois. Car c'est éternel. Il m'a retourné la gueule et la moelle épinière. C'était il y a maintenant pas mal d'années. Je l'ai donc suivi, je l'ai vu en France, en Espagne. On était tous fans de Camaron. Et à sa mort, il y a eu beaucoup de gens très tristes, dont moi.

 

 

     Comment choisir un enregistrement de Camaron ? 

 

StS. Tu n'as jamais été tenté de jouer ou de chanter flamenco ou cela t'apparaît trop loin ?

 

JR. J'ai joué de la guitare flamenca. C'est comme cela que j'ai commencé quand j'avais 13 ans, avec un ami de ma mère. J'ai pratiqué durant une petite année. Mais ce n'était pas évident. Il n'y avait pas vraiment un univers flamenco à Paris, ou je ne le connaissais pas. Et pour moi, le flamenco, il faut le vivre. Ce n'est pas seulement en jouer ou en écouter, il faut le vivre. Je me suis fait un trip en Andalousie, tout seul avec ma gratte pendant trois mois, à vagabonder dans ce milieu. C'était la meilleure manière de me confronter à cet univers. Pour en revenir aux grands interprètes, mon idole absolue est La Niña de los Peines (N.D.L.R. : de son vrai nom Pastora María Pavón Cruz, née à Séville en 1890 et décédée dans la même ville en 1969). C'est le premier disque de flamenco qui m'a « trépané ». Les enregistrements sont d'une qualité médiocre. Le son y est nasillard... Mais ce qu'elle chante et comment elle le chante... C'est unique. Le chant flamenco est TELLEMENT à part... tellement difficile. Si tu n'as pas compris les clefs... Déjà : « Quand le chanteur rentre ? », rythmiquement parlant... Lors d'un des festivals auxquels nous avons participé en Espagne cette année, une femme m'a expliqué ce que j'ai toujours voulu comprendre. C'est le compas, les clefs rythmiques. Car je le lui demandais : « Mais comment choisissent-ils le moment du chant ? »

 

 

      La Nina de los Peines nous déchire le coeur...

 

StS. En modeste auditeur, j'ai du mal à distinguer certains des styles de la musique flamenca, qui m'apparaissent parfois très proches.

 

JR. C'est vrai qu'il y a des rythmes proches. A titre d'exemple la buleria, cela vient de burla... qui veut dire « moquerie ». Les tempi sont rapides afin d'exprimer cette intention. A une époque, les Gitans qui le pratiquaient étaient invités chez des gens qui avaient de l'argent et qui payaient pour un spectacle flamenco. C'était comme ça qu'ils gagnaient leur vie. Et ils rendaient ainsi hommage à leurs hôtes par ces « moqueries » bon enfant. Mais, il y a de très nombreux styles et, souvent, l'un a donné naissance à d'autres. A mon avis, la buleria - je vais peut être dire une énorme connerie, mais je ne pense pas - naît de la Solea. Et la Solea, qui a, au contraire, un tempo très lent, parle de solitude. C'est très profond, dur... et sublime. Mais j'adore tous les styles de flamenco.

 

StS. J'aurais, a priori, l'idée que l'on peut devenir musicien de flamenco, de gospel, de blues... mais qu'être chanteur sans être originaire de ces « biotopes » s'avère plus compliqué.

 

JR. C'est exactement ça ! Chanter... Mais même jouer ! Car un super guitariste de jazz manouche ne sera pas forcément en mesure de jouer flamenco. Ce ne sont pas les mêmes techniques.

 

StS. Certains y parviennent, comme Raphaël Faÿs.

 

JR. Oui, parce qu'ils ont beaucoup bossé.

 

StS. Mais chanter... Il me semble inconcevable qu'une personne étrangère à cette culture y parvienne.

 

JR. C'est clair. C'est impossible. C'est une école à part entière. Soit tu vis à fond dedans... soit « laisse tomber ». Par contre, il existe actuellement en Espagne des phénomènes musicaux fantastiques. Des groupes un peu Rock and roll, un peu techno, mélangent d'une manière extraordinaire la culture flamenca avec un truc un peu universel. Je peux citer Fuel Fandango ou Concha Buika..

 

 

Buikaalbum

      La couverture de l'album Mi Nina Lola. Plus qu'indispensable...

StS. Concha Buika ! Je suis un fan absolu depuis cinq ans. J'ai tous les albums.

 

JR. J'ai découvert cet été. Et j'ai pris une telle claque... J'adore cette fusion qui vient d'elle. Elle est merveilleuse. Tout ce qu'elle fait, tout ce qu'elle propose... Je suis fan.

 

 

      Fans de Concha Buika...

 

Propos recueillis par Stéphane Saubole

 

 

Site internet de Juan Rozoff

http://www.juanrozoff.com/

 

Site internet du Tempo Club

http://www.tempoclub.net/

 

Site internet de Mamafunko

 

http://www.mamafunko.com/

 

 

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